Famille

Mobilité intergénérationnelle : définition et enjeux pour la société moderne

Quarante-sept pour cent. C’est la proportion d’enfants de familles ouvrières qui s’élèvent socialement en France, mais seulement une poignée, moins de 15 %, décrochent les postes les plus en vue. Les chiffres s’éparpillent dès qu’on les examine selon l’origine sociale, le niveau d’études ou le lieu où l’on a grandi. Malgré la hausse globale du niveau de diplôme, le passage d’une génération à l’autre garde des allures de course à obstacles.

Réformer l’école, bousculer le marché du travail : à chaque tentative, le débat sur la reproduction sociale resurgit. Les ambitions affichées se heurtent souvent à la réalité rugueuse des parcours individuels. L’écart entre les discours et la dynamique réelle reste béant, révélant les limites des politiques publiques face à la persistance des inégalités.

Comprendre la mobilité intergénérationnelle : repères et définitions pour mieux saisir ses enjeux

La mobilité intergénérationnelle décrit le déplacement d’un individu dans la hiérarchie sociale par rapport à la position de ses parents. Ce concept, forgé au début du XXe siècle par Pitrim Sorokin, s’inscrit dans la vaste réflexion sur la mobilité sociale : la possibilité de changer de place dans l’échelle sociale. En France, cette notion irrigue les débats sur l’égalité des chances, l’ascension sociale mais aussi la reproduction sociale.

Pour mieux comprendre ce phénomène, il faut distinguer deux grandes formes de mobilité :

  • Mobilité intergénérationnelle : comparaison du statut social des enfants avec celui des parents ;
  • Mobilité intragénérationnelle : évolution du statut d’un individu au fil de sa propre vie.

À ne pas confondre non plus avec la mobilité géographique, qui concerne les changements de région ou de lieu de vie.

Pour analyser ces dynamiques, les sociologues s’appuient sur les tables de mobilité sociale. Ces grilles statistiques mettent en perspective la position sociale des enfants et celle de leurs parents, révélant la force des liens ou leur relâchement au fil des générations. Louis André Vallet, figure majeure de la discipline en France, a affiné la notion de fluidité sociale : elle mesure l’intensité du lien entre origine et destin social, grâce notamment aux odds ratios.

Voici deux concepts clés utilisés pour décortiquer la mobilité sociale :

  • Mobilité structurelle : elle découle des bouleversements économiques et traduit les déplacements de catégorie sociale liés à l’évolution du marché du travail.
  • Mobilité nette : elle isole la part de mobilité indépendante des transformations structurelles.

La mobilité sociale intergénérationnelle reste une grille de lecture centrale pour jauger la capacité d’une société à garantir la fluidité sociale et l’égalité des chances. Les analyses de Gustave Kenedi (London School of Economics) et Louis Sirugue (École d’Économie de Paris), relayées par l’Institut des politiques publiques, alimentent une réflexion collective sur les défis que la société française doit relever à ce sujet.

Quels sont les différents types de mobilité sociale et comment se manifestent-ils aujourd’hui ?

La notion de mobilité sociale recouvre des situations variées. On distingue généralement deux grandes catégories : la mobilité intergénérationnelle, qui compare la position sociale d’une génération à l’autre, et la mobilité intragénérationnelle, qui s’intéresse aux évolutions au cours de la vie d’un individu.

En France, la mobilité intergénérationnelle de revenus reste limitée, à en croire les chiffres de l’OCDE. Le revenu familial pèse lourdement dans l’accès à l’enseignement supérieur : un enfant de milieu modeste a 2,5 fois moins de chances d’obtenir un diplôme du supérieur qu’un camarade issu d’un milieu favorisé.

Pour clarifier cette diversité, voici quelques distinctions majeures :

  • Mobilité verticale : il s’agit d’une progression ou d’une rétrogradation dans la hiérarchie sociale.
  • Mobilité horizontale : elle concerne les changements de secteur ou de métier à statut équivalent.
  • Mobilité structurelle : ici, c’est l’évolution de l’économie qui redistribue les cartes, montée des emplois qualifiés, tertiarisation, recul de l’agriculture.

La part dite « structurelle » de la mobilité est estimée à l’aide des tables de mobilité sociale et ne dépend pas uniquement des choix individuels.

Le milieu socio-économique continue d’influencer fortement les parcours, qu’il s’agisse des performances aux évaluations Pisa ou de l’accès aux études supérieures. Les enfants de familles diplômées accèdent bien plus souvent à l’université, preuve que les inégalités restent ancrées. La mobilité géographique, qui rime parfois avec ascension sociale, vient compléter ce tableau, mais elle ne suffit pas à effacer les barrières de départ. Les résultats scolaires, l’influence des réseaux, les habitudes et valeurs transmises : tout s’agrège et façonne la reproduction sociale.

Une femme âgée et une professionnelle se serrant la main en réunion

Solidarité entre générations et défis contemporains : repenser la cohésion sociale à l’heure des mutations économiques

En France, au Royaume-Uni, en Italie ou aux États-Unis, la mobilité intergénérationnelle des revenus reste contrainte, les positions sociales se transmettant de façon tenace. À l’opposé, les pays scandinaves, l’Australie ou le Canada affichent une fluidité sociale nettement plus élevée. Ce contraste pose la question de la cohésion sociale, d’autant plus aiguë que les mutations économiques et la précarisation de l’emploi fragilisent la capacité des familles à transmettre un socle stable de ressources ou de relations.

Pour mieux saisir les dynamiques en jeu, voici deux exemples marquants :

  • La persistante des inégalités scolaires se vérifie en France, en Belgique ou aux États-Unis, tandis que les pays nordiques ou le Canada parviennent à mieux les contenir.
  • L’environnement éducatif pèse plus ou moins lourd selon les pays : il marque davantage les trajectoires en Allemagne ou aux Pays-Bas, mais son impact est atténué dans les sociétés nordiques, où les politiques publiques s’efforcent de réduire les écarts.

La capacité à renforcer les liens entre générations dépend alors de la réactivité des systèmes de solidarité. L’accès à la retraite, l’entrée des jeunes sur le marché du travail, la lutte contre les inégalités scolaires : autant de champs où se joue l’avenir de la mobilité sociale intergénérationnelle. Les décisions collectives, en matière fiscale ou de redistribution, dessinent peu à peu les contours de la société de demain. Préserver la cohésion, c’est refuser que la reproduction sociale devienne l’horizon indépassable des générations à venir, alors même que les repères économiques se déplacent à grande vitesse.

Rien n’est figé, mais tout reste à prouver : la mobilité intergénérationnelle, loin d’être un simple indicateur, s’impose comme le thermomètre vivant de notre capacité à réinventer le contrat social.